Dans son génial ouvrage La Zone du Dehors, Alain Damasio écrit :
« Toujours se tenir à la pointe de son savoir, là où tout nouveau pas, droit vers le gouffre, créait le sol qui le soutiendrait (…)»
En le lisant, j’avais noté avec amusement comme ce passage me parlait. C’est ce même passage que mon amie Élise choisissait de partager avec moi il y a quelques jours, y entendant là l’écho de la démarche qui m’avait poussée à suivre une formation engageante, sans savoir dire par avance ce que j’allais en faire, sinon que j’allais le découvrir en faisant.
Sans y aller absolument au hasard, je n’avais effectivement pas de but très précis, rien d’autre chose que « ce sujet est passionnant, j’ai envie d’apprendre, je verrai ce que ça déclenche ». C’est mon côté Soulages, lui qui dit « C’est ce que je fais qui m’apprend ce que je cherche ».
A première vue, quand on est consultant en organisation, transformation et systèmes d’information, et facilitateur en intelligence collective, qu’aller donc faire dans une formation de praticien en hypnose ?
Car c’est dans une école de formation à l’hypnose ericksonnienne que j’ai passé la première semaine de décembre pour y suivre et valider la première étape d’une formation d’hypnologue (terme barbare remplaçant le terme hypnothérapeute, désormais plutôt réservé aux professionnels de santé).
A première vue, disais-je donc, il serait tentant de dire qu’il n’y a aucun rapport entre cette pratique et mes pratiques professionnelles, pas plus que si j’étais aller passer un CAP en boulangerie (j’adorerais !), non ? Ce serait tentant à dire, mais ce serait faux.
Ayant déjà écrit sur les nombreuses ressemblances entre la posture de facilitateur et celle d’hypnotiseur, ce n’est pas en soi une surprise totale pour moi.
J’ai cependant trouvé une quantité assez dingue d’apports passionnants venant nourrir mes réflexions ou pratiques actuelles, celles du consultant et du facilitateur.
Alors, quels rapports entre l’hypnose et le conseil ou la facilitation ?
Une base : ces pratiques sont des pratiques d’accompagnement : une aide est demandée et on y répond par une proposition d’accompagnement adaptée.
Dans ce processus il est nécessaire de cadrer la demande, c’est à dire d’abord s’assurer qu’on l’a comprise, raisonnablement de la même manière, puis de comprendre la question derrière la question.
La aussi ça est la base, et c’est commun à toutes ces pratiques : la demande exprimée n’est pas exactement celle qu’on va traiter.
Dans le conseil on nomme ça « mission cachée » : il y a la mission officielle, celle dont le nom figure sur les livrables, et ce que veut vraiment la cliente. Par exemple : « modéliser les processus liés aux demandes d’évolution d’un système d’information » pourrait être le sujet d’une mission, quand un vrai besoin derrière serait que la DSI doit faire la démonstration de son rôle clé dans la transformation digitale en cours de l’organisation.
En tant que facilitateur je vais chercher à comprendre pourquoi cette demande est importante, ce qu’elle recouvre, comprendre comment le collectif concerné est, ou pas, impliqué dans la démarche et, finalement, pourquoi la cliente me demande de « faire faire ça à son équipe ».
En hypnose c’est peut-être une personne qui arrive en disant vouloir être moins stressée qui a en réalité besoin de retrouver confiance en elle dans le cadre de ses apprentissages.
Cadrer
Un cadrage permet de comprendre de quoi on parle, vraiment, qui ça concerne, quelle est la situation aujourd’hui, ce qu’on aimerait avoir à fin de la démarche et même après, qu’est-ce que ça va permettre, ce qui se passerait si on ne faisait rien de tout ça.
Dans un accompagnement par l’hypnose on appelle ça la détermination d’objectif. Ca répond à une logique assez similaire, avec quelques caractéristiques très particulières qui me paraissent être des apports extrêmement intéressants à intégrer.
Tout d’abord, il y a la manière d’entrer en relation avec la personne assise en face. Dans le cabinet, le praticien cale son attitude sur celle du client, il se « synchronise » de manière à créer cette relation particulière. L’hypno doit être en permanence extrêmement attentif à tout ce qui se passe chez la personne en face, d’un point de vue verbal, para-verbal, corporel, jusqu’au rythme de la respiration.
On nous apprend aussi à laisser derrière nous tout ce que nous pensons savoir ou comprendre de la personne, être « en tri sur l’autre », ce qu’on peut résumer par « je ne sais rien de l’autre ». Cette petite phrase est toute simple, mais elle me semble d’une grande puissance. Démarrer un cadrage avec cette intention là me semble maintenant essentiel.
Si je laisse derrière moi toute idée préconçue, toute expertise, premier diagnostic, le temps de me focaliser sur ce qui est dit, peut être pas dit, et d’utiliser uniquement le questionnement pour interroger tout ça et créer une vision de la situation, je peux passer à côté de nombreux pièges.
Ce pouvoir du questionnement, c’est une base de toutes mes pratiques : les bonnes questions font réfléchir, elles stimulent l’imagination, elles actionnent quelque chose. Et souvent, elle font faire un bout de chemin. Il peut même arriver que le simple fait de questionner permette à la personne de ne plus avoir besoin d’aide : la prise de conscience obtenue a été salvatrice.
Les pratiquants du codéveloppement connaissent bien cet aspect.
Dans un atelier collaboratif, les bonnes questions permettent d’avancer, les mauvaises peuvent nous faire passer à côté d’opportunités, voire nous piéger.
Pour bien communiquer, il est aussi intéressant d’être conscient de ce que nos différentes façons d’être au monde se traduisent notamment par des sensorialités différentes. Nous avons tous des manières différentes de capter et vivre les expériences. Certaines personnes sont plutôt visuelles, d’autres très sensible au son, d’autres aux sensations. C’est évidemment variable selon les expérience mais, globalement, chacun a un « canal sensoriel » plus fort. Lorsque nous vivons quelque chose, nous allons être plus sensibles à certains aspects de l’expérience, qui seront ceux que nous retiendrons.
Si je dis « la cloche sonne », quelle est la première chose qui t’es venue ? Une image ? Un son ? Une sensation ?
Il y a un traduction de tout ça dans notre façon de nous exprimer, dans notre façon d’appréhender ce que nous entendons. Je peux être mieux compris si j’en tiens compte, en utilisant peut-être plus d’images ou d’analogies visuelles, ou au contraire en faisant appel à plus d’évocations de sensations. Il est donc intéressant d’identifier quelles modalités sont prédominantes chez une personne.
Un chemin
Autre point commun à ces pratiques : l’accompagnement est un chemin, vers une destination. C’est vrai du conseil, c’est vrai des dynamiques collaboratives.
En hypnose on parle de créer un « chemin d’effets désirés ». Chaque suggestion est un pas vers un effet chez la personne, chaque effet permet de progresser vers un autre. L’ensemble nous permet de conduire la personne vers le changement défini.
Quand je conçois un atelier collaboratif je réfléchis aux étapes intermédiaires qui vont permettre de progresser vers l’objectif final.
Autrement dit, il me faut un objectif, qui a du sens, qui est assez précis (dans le conseil nos objectifs sont SMART++, en hypnose ils sont SUPER) et que je ne perds pas de vue, jamais. Sinon, on prend un mur.
« A objectif imprécis, connerie précise »
Un hypnothérapeute
Enfin, l’hypnose c’est une histoire qu’on raconte, en direct. Ce chemin sur lequel on accompagne, c’est une histoire qu’on raconte, pour que la personne nous y suive, à son rythme. Il faut raconter une histoire qui lui parle, où chaque mot peut faire trébucher, il faut être attentif, présent, sans jamais revenir en arrière.
Chaque mot prononcé est entendu, on ne peut pas le reprendre. S’il n’est pas juste, pas suffisamment, ou trop, ou un peu, ou pas vraiment (…) alors il faut poursuivre.
Lâcher prise
C’est un vrai exercice de lâcher prise, où on avance sans s’arrêter, sans recommencer pour faire essayer de faire mieux, qui m’a fait penser à cet idiome japonais :
Littéralement « un moment, une rencontre », qui s’entend comme « cette fois-ci seulement » ou « une fois dans une vie ».
Il est notamment utilisé dans les arts martiaux comme un rappel aux pratiquants tentés d’arrêter un mouvement pour le recommencer, en mieux, plutôt que de le poursuivre malgré une erreur.
Ici aussi, il s’agit de poursuivre, d’adapter, d’accepter.
J’ai trouvé cette expérience très enrichissante de ce point de vue aussi, quand la tendance naturelle serait parfois de dire « attends, je recommence ». Le lâcher prise est aussi essentiel qu’il est puissant. Cet aspect de cette expérience était celui que j’avais identifié par avance, et je venais le chercher. Je n’ai pas été déçu.
Cadre de sécurité
Enfin, si l’hypnotiseur est un facilitateur quand il conduit sur ce chemin, il est aussi garant du cadre, de sécurité, de confiance. C’est grâce à ça que la personne est prête à faire ce bout de chemin. Il faut de l’attention et de la bienveillance, prendre le temps de poser ce cadre, être à tout moment à l’écoute de ce que vit la personne pour s’assurer que c’est toujours OK pour elle.
Cette formation m’a donc apporté des éclairages ou approches complémentaires assez passionnants pour mes pratiques professionnelles actuelles, ainsi que des expériences très enrichissantes en termes de lâcher prise, d’acceptation, ou d’attention lors de chaque occasion d’accompagner une personne. Chacune de ces expérience est tellement formatrice…
Cette dernière réflexion me rappelé la dédicace très amusante de Winnicott en introduction de son ouvrage « Jeu et Réalité » :
« To my patients who have paid to teach me ».
La suite en avril !
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