Non. Désolé, il ne va pas y avoir de miracle pour l’organisation de vos réunions ou ateliers en période de confinement : cette introduction rassurante serait une bonne nouvelle pour certains et nous permettrait de ne surtout rien changer.
La réunion pénible du lundi matin sera plus pénible encore : depuis la table de la cuisine, entre Léa et une tartine de confiture, présenter le plan d’action de la semaine risque d’être un peu compliqué.
La situation créée par la pandémie à laquelle nous faisons face est très exceptionnelle, cependant l’exemple pris en introduction est l’illustration d’une évidence pour ceux qui, comme nous, accompagnent la transformation numérique des organisations.
Nous rappelons souvent à nos clients qu’il ne faut pas confondre transformation numérique et… numérisation. Autrement dit, si la démarche intellectuelle la plus rapide et évidente consiste à traduire à l’identique un processus de travail sous une forme numérique, dématérialisée, c’est souvent une mauvaise idée. Le fameux “think different”, penser autrement, a ici toute sa place.
Numérisation vs. transformation numérique
Ce n’est donc pas un virus qui nous l’apprend, et nos missions auprès de nos clients nous en apportent de fréquentes illustrations : chercher à faire à l’identique sous forme numérique ce qui se faisait dans le monde physique est généralement une idée pas terrible, parfois même une très mauvaise idée.
Le processus dématérialisé sans être repensé reproduit les mêmes erreurs, peut en accentuer le poids, rendre absurde ce que le monde physique rendait tolérable. Cette transposition numérique peut même ne plus fonctionner. Des premières dématérialisations de la déclaration de revenus aux déclarations en ligne actuelle, des cours en ligne sous forme de papiers mal numérisés transmis en PDF aux MOOCs finement travaillés, que de chemin parcouru.
Il en va ainsi avec nos réunions de travail. Une mauvaise réunion en présentiel restera une mauvaise réunion à distance. Avec la transformation numérique, une bonne réunion peut devenir mauvaise et même totalement dysfonctionnelle si elle est “mal dématérialisée”.
Repenser le processus est donc indispensable.
La bonne nouvelle c’est qu’il s’agit d’une opportunité de réinterroger vos objectifs et, peut-être, de remettre en question certaines réunions, leurs propos, intentions, modalités, etc. En face à face ou en virtuel, qui, quand, comment et pourquoi rencontrer qui ?
Si votre objectif est d’informer votre équipe, de manière descendante, vous pouvez encore imaginer que votre monologue de 30 minutes passera bien en visio. Le risque est que vous parliez pour vous-même alors que chacun, derrière son écran, estplus concentré sur ses mails que sur votre intervention.
En revanche, si vous avez comme objectif d’échanger, la problématique sera plus complexe et il n’existe pas une solution universelle qui reproduit en ligne ce qu’on peut créer dans une salle de réunion ou sur un plateau collaboratif.
Ce que le numérique ne peut pas
Caméras, messageries, documents partagés, téléphones, messageries instantanées nous semblent être les réponses adaptées à la numérisation des échanges en réunion, à la communication de présentations Powerpoint, ou à l’échange d’idées. Même les post-its ont leurs versions dématérialisées.
Seulement, ces outils ne permettent de transmettre qu’une partie de ce que sont nos communications.
Dans nos interactions en face à face, la voix transmet des éléments d’information factuels (ce que je dis, avec quels mots) : c’est la part verbale ; elle transmet aussi une part complémentaire, dite “para-verbale”, par le ton, le volume sonore, etc. ; enfin, il y a ce que qu’on nomme le “non-verbal”, ce qui passe par le corporel et qu’on nomme aussi “langage corporel” : position du corps, les gestes et les micro-expressions du visage en particulier. Nous pouvons y lire une émotion, un signe de reconnaissance ou d’approbation, ou simplement que la personne est attentive.
Nous connaissons tous ces échanges de messages écrits qui peuvent monter en épingle, générer des émotions fortes quand, parfois, le même échange aurait été beaucoup plus doux en face à face si nous avions eu toute cette part de communication qui nous aurait, par exemple, permis de comprendre un second degré, un signe de compréhension, etc. Ce qui n’est pas véhiculé par l’écrit laisse la place à des interprétations.
En face à face, nous communiquons beaucoup plus que les éléments factuels aisés à dématérialiser et le non-verbal joue un rôle essentiel dans nos interactions.
Aussi, selon la nature du sujet et des objectifs, il peut être utile de ne pas dématérialiser un échange (si vous délivrez une communication qui peut générer des émotions fortes par exemple), ou bien il peut être pertinent de privilégier un canal préservant le maximum d’informations (ex : une vidéo de bonne qualité, et pourquoi pas en face à face).
Bref, interrogez-vous sur vos objectifs et réfléchissez à votre dispositif en fonction de ce que vos outils vous permettront de faire.
Temps d’attention et place de chacun
Le temps d’attention des participants est limité. En ligne, plus encore que pendant cette interminable réunion du lundi matin, vous risquez de perdre l’attention des participants si vous ne les faites pas participer.
Pour que chacun puisse s’exprimer et apporter sa part, il est important de le prévoir, par design. Selon les outils utilisés, il est souvent plus compliqué de signaler son envie de prendre la parole, cette intention doit en tout cas être plus marquée (par exemple en utilisant une fonctionnalité ad hoc), là où un facilitateur expérimenté identifie les signes associés et identifie même les plus timides et peut les inciter à apporter leur contribution.
Prévoyez un “design”, c’est-à-dire une séquence d’étapes de travail dont les objectifs et modalités sont clairs et adaptés à une forme virtuelle.
En perdant une bonne part du non-verbal donc, avec l’audio pour principal canal et un petit peu de visuels, nous devons aussi composer avec des outils techniques plus ou moins flexibles et des participants isolés. L’improvisation devient dès lors beaucoup plus limitée. Improviser (i.e. s’adapter à l’imprévu) c’est cependant quelque chose que tout bon facilitateur doit faire très souvent. Le rôle de l’animateur de réunion devient plus technique. À ses savoir-faire relationnels vont s’adjoindre des compétences techniques plus pointues.
Du coup, on fait quoi ?
Du formalisme, de la simplicité, l’adaptation au média, de la préparation et de la créativité !
Formaliser un peu plus : prévoir des tours de parole formels permet par exemple de s’assurer de la bonne compréhension d’informations, de consignes de travail et pallier ainsi en partie la limite de ce que nous pouvons voir et entendre. L’implicite devenant peu ou pas lisible, soyez explicites.
Simplifier : l’ordre du jour, les méthodologies, les consignes si nécessaire. Si la perfection, c’est « quand il n’y a plus rien à retirer », comme le disait Saint-Exupéry, l’enjeu est ici d’autant plus important.
Adapter : les formats de travail, les modalités. Prenez l’avantage du temps. Pensez asynchrone vs. synchrone. Donnez à lire en avance ce qui peut l’être, rendez le plus productif possible le temps ensemble. Si des personnes peuvent être réunies, organisez des petits groupes reliés entre eux par le numérique. Si vous êtes facilitateur d’un groupe qui peut être réuni, tirez parti de cette possibilité.
Préparez. Cette règle aussi simple qu’essentielle pour tout temps de travail collectif n’est que peu respectée dans les réunions classiques. Vous l’avez compris, elle est d’autant plus indispensable que vous allez devoir composer avec un environnement peu flexible, et réfléchir aux manières d’aborder les différents sujets, les différentes manières de les travailler, de manière synchrone ou asynchrone, etc.
Enfin, comme avec absolument toute intervention reposant sur des outils, utilisez des outils que vous maîtrisez déjà suffisamment (apprenez à les utiliser avant si nécessaire) et vérifiez qu’ils sont utilisables dans l’environnement qui vous concerne (faut-il acheter, installer, faire autoriser, passer par un VPN, firewall, etc. ?), prévoyez un plan B (voire C).
Et le lien dans tout ça ?
Si nous avons abordé la problématique sous un angle volontairement assez productif (être efficace, réussir ses réunions ou ateliers en ligne), il nous paraissait important de poser un dernier sujet en guise de conclusion.
En effet il se passe beaucoup de choses au-delà du temps productif de ces moments partagés. Il se joue un ensemble de petits événements relationnels qui contribuent à en faire un espace-temps socialement riche : des moments autour du travail qui ne sont pas dédiés au travail, des discussions plus légères en fin de réunion… Dès lors que nos réunions sont préparées, cadrées, organisées et efficaces, où trouvera-t-on le moment pour l’insidieux, le réconfort social ou le relâchement ?
Alors que nous nous apprêtons à vivre une période de confinement, imaginons des espaces où il peut se jouer autre chose que de la production autour du travail. Créons des moments de rencontres virtuelles où vit tout ce qui fait qu’une réunion n’est pas qu’un espace de production, mais également un lieu de construction sociale dans l’entreprise.
Article co-écrit avec David Bessot (Infhotep)
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