Nous voilà pour la plupart confinés, depuis un peu plus de deux semaines. Deux semaines dans cette expérience inédite, presque surréaliste et déjà quelques expériences ou réflexions que j’avais envie de partager.
Ce confinement, pour moi, c’est d’abord un rapport à la peur, aux peurs. Confinés pour éviter de mourir ou de porter la mort. Confinés impuissants, en regardant le monde s’effriter — j’étais tenté d’écrire « le monde d’avant » — et en se demandant ce qu’il en restera, comment nous nous relèverons, avec quels dégâts sur nos proches, notre économie, nos économies personnelles, nos vies. La presse nous parle du virus, du débordement des systèmes de santé, de krach possible, etc. Confinés un peu stupéfaits, comme figés dans la lumière des phares de l’actualité qui nous happe. C’est le propre de la catastrophe de nous saisir.
« étonner la catastrophe par le peu de peur qu’elle nous fait (…) »*
Passée la première vague dans la figure, celle qui fait un peu boire la tasse, je me rappelle un principe de vie auquel j’essaie de me tenir (quand la tasse bue n’est pas trop grosse) : face à un événement ou une situation à laquelle je peux rien changer… je souffle un coup et lâche l’affaire.
N’empêche, c’est une période inédite et étrange pour tout le monde. Pour moi s’ajoute le fait qu’elle coïncide avec une transition professionnelle initiée en janvier, le passage à une activité indépendante qui plus est très axée sur les regroupements humains. Alors que je devrais rencontrer des clients potentiels ou relais, des partenaires, je suis coincé à la maison.
D’abord, ralentir
J’ai cette impression de rouler sur un chemin cabossé, la visibilité est mauvaise, difficile de garder une vision nette. Je ralentis, je prends plus le temps. Dedans, et dehors. Dans les activités, le rythme de la journée, comme dans la tête. Je prends aussi le temps d’accueillir ce qui vient, de nommer les émotions, je prends le temps nécessaire pour assimiler.
Aujourd’hui plus qu’avant, faire un pas de côté, prendre un peu de recul est indispensable.
M’ouvrir, plus encore…
J’ai du temps, dans une période qui oblige à réinventer. Alors je lis encore plus, je me forme encore plus, je partage… encore plus.
Confiné, j’ai suivi plusieurs modules de formation en ligne dont 2 journées d’un même programme dont les participants venaient du monde entier. Nous étions une trentaine à chaque séquence, avec des temps d’échanges en groupes de 3. J’ai ainsi eu l’occasion d’échanger directement avec des personnes en France, Italie, Suisse, Allemagne, Danemark, Chine, Inde. D’autres participants étaient en Australie, Afrique du Sud, Angleterre, … Cette formation aurait du se tenir en présentiel, à Berlin. Sans cette crise mondiale je n’aurais pas eu cette opportunité. Je n’aurais pas eu cette occasion de parler avec ces personnes, de parler avec Alfredo en Italie, avec Louise au Danemark, Susan ou Meena en Inde et de découvrir un visage différent de la mondialisation.
… et expérimenter
J’expérimente des formes d’échanges, d’interactions nouvelles. Des façons d’organiser et faciliter à distance des ateliers, des outils, des pratiques, des manières de garder le contact avec le réseau, les proches, les moins proches, de soigner la « membrane » de nos collectifs. Comme ces formations ou temps de partage entre pairs qui n’auraient pas eu lieu sans cette crise, ce sont des initiatives qui jaillissent, des échanges en plus petits groupes qui se tiennent et témoignent d’une émulation et d’une créativité qui semblent vouloir défier le confinement.
Bring on the lemonade !
L’un des grands principes de la théorie de l’effectuation est nommé principe de « la limonade » en référence à un dicton qui dit « si la vie t’apporte des citrons, fais de la limonade ». Autrement dit : la vie est pleine de surprises, bonnes et mauvaises. Mets à profit ce que la vie t’amène au lieu de dépenser temps et énergie à lutter contre ce qui est là ou à chercher à prévoir ce qui pourrait peut-être…
Et puis, il paraît que « la vie ce n’est pas attendre la fin de l’orage mais apprendre à danser sous la pluie » (d’après Senèque).
De tout ça je me dis qu’il s’agit aujourd’hui plus qu’avant de jardiner, semer des graines, soigner, arroser, regarder ce qui poussera. C’est une occasion d’inventer, de diversifier et aussi de nous confronter à l’impermanence, comme me le rappelait une amie. On n’aime guère se la rappeler, cette impermanence, tant on préfère être rassurés par la force et la solidité de nos demeures, de nos systèmes, de nos réseaux, de nos vies. Pourtant c’est en l’acceptant, lâchant prise sur cette illusion de tout maîtriser, qu’on peut s’ouvrir à ce qui est.
Cette crise paraît aussi être une sorte de tamis dans lequel passer les choses de notre vie, l’opportunité de faire un tri entre l’essentiel et le reste. A nous de voir ce que nous saurons en faire.
Alors si on me demande « avec quoi voudrais-tu ressortir de cette crise ? » je répondrai sans doute « avec plus de légèreté, moins de peurs pour ce que je possède et plus envie d’aller danser sous la pluie »
En illustration, je partage ce sketchnote restituant un temps d’échange en ligne avec des participants venus de toute la planète, sur le thème « life at times of corona virus ».
[*] « Tenter, braver, persister, persévérer, s’être fidèle à soi-même, prendre corps à corps le destin, étonner la catastrophe par le peu de peur qu’elle nous fait, tantôt affronter la puissance injuste, tantôt insulter la victoire ivre, tenir bon, tenir tête ; voilà l’exemple dont les peuples ont besoin, et la lumière qui les électrise. » – Victor Hugo (Les Misérables)
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