Lâcher prise ?

Cet article pourrait s’appeler « Ce que j’ai appris sur le lâcher prise ».

En 2016, j’ai initié les premiers pas de ce qui a dessiné petit à petit un chemin de transition professionnelle assez profond. Ces premiers pas n’avaient alors rien d’une trajectoire, l’intention n’était pas non plus très claire. Le fait de m’aventurer sur des territoires nouveaux et d’apprendre de nouvelles choses était assez banal dans ma vie d’autodidacte. Le fait de démarrer une formation diplômante de plus d’un an l’était en revanche beaucoup moins.

A l’issue de cette formation, il nous a été demandé un travail d’auto-évaluation basé sur une grille de compétences, sur laquelle nous avions fait le même travail le premier jour de la formation. Nous devions ensuite travailler, à partir de cette grille, à présenter à nos camarades ce qui nous paraissait essentiel, particulièrement notable dans l’évolution se dessinant entre ces deux évaluations séparées d’un an, en nous appuyant sur ce dont ils avaient pu être témoins durant l’année.
L’intérêt majeur de ce travail fût de revisiter l’année écoulée, elle-même remise en perspective dans ce qui avait alors bien pris la forme d’un chemin de transformation professionnelle, et personnelle.
Deux enseignements majeurs me sautaient alors à la figure, deux domaines sur lesquels ma transformation me paraissait particulièrement spectaculaire : légitimité et lâcher prise.

Légitimité de professionnel sur des démarches collaboratives, mais plus généralement légitimité à me positionner sur les nombreux sujets qui constituent ma vie professionnelle. Lâcher prise dans tous ces moments où j’avais jusqu’alors été pétrifié par le doute, voire la certitude que je ne serais pas à la hauteur, pas le meilleur, pas (…). Ce que Brené Brown nomme le « never enough problem » (le problème du « jamais assez »). Sur des sujet nouveaux (la faciliation de groupe) nécessitant de se positionner par rapport au groupe pour l’embarquer, proposer une démarche, l’adapter, en sachant que ça ne se passera jamais comme on a pu le prévoir… ce n’était pas évident pour le moi de l’époque.

En faisant ce travail, j’ai formalisé, pris réellement conscience de ce que j’avais remarqué de façon épisodiques, par petites touches.
Durant les 18 mois précédents j’avais bien noté, parfois, que j’avais osé, là, pu faire telle autre chose, pris du plaisir à telle autre. C’est ce travail de formalisation, de retour sur moi qui a été le vrai révélateur et qui, par l’ampleur de la transformation qu’il a révélée a été une vraie secousse.

Lâcher-prise et légitimité sont dans un bateau

Ce n’est pas un hasard si ces deux thèmes sont ceux qui sont apparus nettement sur le radar. Le premier était la condition essentielle permettant de progresser sur le deuxième.

Le thème du lâcher prise est aujourd’hui une notion qu’on manie à tout bout de champ, dans le monde de l’entreprise notamment (comme la bienveillance), souvent à la manière d’une incantation, comme on pourrait dire « OSEZ ! Cessez d’avoir peur, non d’un chien ! », façon « quand on veut on peut ». Un terme qui perdrait ainsi de sa signification ou de sa puissance. Et pourtant il est tout sauf vide de sens.

Il a pris pour moi une signification particulière un jour d’août 2014 lorsque je me suis rendu pour la première fois sur un petit aérodrome de Bourgogne. Pour une raison qui reste encore mystérieuse pour moi aujourd’hui, j’avais eu envie de découvrir le saut en parachute. Mystérieux élan, car je n’ai jamais été adepte des sensations fortes, la prise de risque est environ à l’opposé de ce que j’étais alors. Et pourtant ce jour-là, pour la première fois de ma vie (et la seule à ce jour), j’ai remis littéralement ma vie entre les mains d’un inconnu, pour faire un saut en tandem à 4000 mètres

17 août 2014, 11h42

Ce jour là je n’avais vraiment pas tout ça en tête. C’est dans les semaines ou mois qui ont suivi que j’ai commencé à mettre des mots, à m’amuser de la puissance symbolique de cette journée. Et puis à trouver amusant, mais aussi absolument mystérieux, d’avoir fait tout ça sans aucune peur. A me dire que j’avais réussi à « lâcher prise », sur pleins de choses dans cette histoire. Cet étonnement était d’autant plus amusé que je réalisais tout ça bien après.

Je suis retourné sur le même aérodrome quelques mois plus tard pour y apprendre à refaire ça tout seul. La réflexion, en meta, était alors plus naturelle. A l’heure où j’écris ces lignes je me suis jeté 63 fois de plus par la porte d’un des avions du club, savourant chaque fois le plaisir indescriptible du passage de la porte et des sensations qui l’accompagnent, affrontant à chaque fois un degré de tension variable, allant du quasi nul au plus notable, tantôt en montant dans l’avion, tantôt dans les jours avant. J’ai fait de cette activité un laboratoire d’observation amusant et une pratique concrète, tangible du lâcher prise.

Ce que cette pratique mais aussi tout ce que j’ai vécu durant mon année de formation m’ont apporté, j’ai commencé à le décrypter avec ce travail de réflexivité en mars 2018. Ce sont des apprentissages passant des tripes au cerveau de ce qu’est pour moi le lâcher prise.

J’y ai appris à ressentir des signes physiques, détecter des routines défensives ; accueillir crainte, peur, doutes, ne pas les ignorer sans les laisser me pétrifier ou me noyer.
J’y ai pris un goût des sauts dans le vide, en passant la porte d’un avion ou celle d’une salle pour l’animation d’un atelier : accepter et même m’amuser de ne pas savoir à coup sûr tout ce qui va se passer, en ayant confiance en ma capacité (et celle de l’équipe) à gérer ce qui adviendra. Ce qui était violent, dur, angoissant, que ce soit me confronter à la perspective d’une réunion importante ou l’animation d’un atelier avec des inconnus, est devenu un territoire d’exploration et, plus important, de jeu.

J’ai donc surtout appris que plus on joue avec la zone de confiance plus elle s’agrandit. En allant jouer, souvent un peu à la lisière, en donnant des petits coups de pied dans la clôture de la zone de confiance, les choses deviennent ludiques, le stress s’estompe et peut même disparaitre. La découverte, peut alors enfin devenir un plaisir, un jeu. Le jeu permet de devenir plus fluide, d’apprendre alors mieux, d’agrandir encore un peu la zone.

J’ai aussi compris qu’il y a des conditions pour s’amuser avec sa zone de confort. C’est là que nous ne sommes pas dans l’incantation, façon « il suffit de le vouloir ». Il faut vouloir, bien sûr, c’est sans doute le premier élan de « lâcher prise ». Mais ça ne suffit pas : on peut oser et rester toujours crispé dans la peur. On peut se jeter dans l’épreuve, comme par la porte d’un avion et toujours la vivre avec difficulté, oser pétrifié.
Dans mon expérience propre, je crois maintenant que la condition déterminante nécessaire à ces formes de courage que sont le lâcher prise et la sortie de la zone de confort se nomme authenticité. 

Être authentique pour être courageux ?

Être authentique c’est « être en accord avec soi-même, avec son essence. Cette essence nous guide et nous indique ce qui est vraiment bon pour nous. Renouer avec son authenticité consisterait donc à chercher notre position essentielle. Celle qui permet d’aligner notre mental, notre corps et nos émotions » (impossible de retrouver ma source, je penche pour Anne Dufourmantelle).

Je peux être courageux, je peux lâcher prise sans être authentique, sans que ça ait du sens, sans me sentir à ma place. Mais sur le long terme ou sur les sujets qui ont une résonance profonde pouvoir être authentique dans ses actes et ses paroles est quelque part entre une nécessité et un formidable soutien.

L’authenticité a un autre visage : la vulnérabilité, dont Brené Brown nous dit qu’il s’agit de l’incertitude, du risque et du fait de s’exposer émotionnellement.

Si l’on continue à tirer le fil de la pelote, j’ai compris que la condition qui permet de s’ouvrir à la vulnérabilité est la bienveillance.
Je sous-titre souvent le mot bienveillance, en particulier dans l’univers des entreprises ou grandes organisations, où il a largement été dévoyé. La bienveillance est parfois vue comme un truc de bisounours. Ca en dit long.

Être bienveillant c’est être « doux avec les personnes, dur avec les problèmes » (j’ai entendu cette expression dans la bouche de Chloé Grabli, je n’en connais pas l’auteur). On peut être bienveillant et dire des choses difficiles, aborder des sujets douloureux. Mais avec douceur. Douceur et bienveillance envers les participants à un atelier, de moi-même envers moi-même, etc. sont les éléments qui me permettent d’être authentique et courageux.

Douceur

De la douceur, Anne Dufourmantelle nous dit :

« Être doux avec les choses et les Êtres, c’est les comprendre dans leur insuffisance, leur précarité, leur immanence, leur bêtise. C’est ne pas vouloir rajouter à la souffrance, à l’exclusion, à la cruauté, et inventer l’espace d’une humanité sensible, d’un rapport à l’autre qui accepte sa faiblesse, et ce qui pourra décevoir en soi. Et cette compréhension profonde engage une vérité ».

Être authentique, s’exposer, être doux avec soi-même pour oser agir avec courage, c’est ce qui rend possible et surtout ce qui donne du sens et du plaisir à tout ce que sous-tend le terme « lâcher prise » : faire face à l’incertitude, à une forme de mise à nu et de risque émotionnel et toujours croire que « je suis assez » (I am enough vs. I am not enough). Apprendre à apprendre de ses échecs, comme accueillir ses peurs, pour qu’ils nous construisent plutôt que nous détruire, tels sont les enjeux.

Pour cela, il est aussi nécessaire de tomber l’armure : celle que nous avons enfilée pour nous protéger des critiques, des attaques, réelles ou craintes ; celle que nous avons enfilée pour nous cacher.
Alors, on peut descendre dans l’arène, s’exposer, risquer, perdre, réussir, apprendre, grandir.
Ce texte magnifique de Theodore Roosevelt, lui-même cité par Brené Brown, nous parle de cette descente dans l’arène que sont lâcher prise et courage, mais aussi de ces critiques, ceux qu’il est important de ne pas écouter :

« Ce n’est pas le critique qui compte. Ce n’est pas l’homme qui montre du doigt comment l’homme fort a trébuché. Tout le mérite appartient à celui qui descend vraiment dans l’arène, le visage couvert de poussière, de sueur et de sang, qui se bat vaillamment, qui échoue encore et encore, parce qu’il n’y a pas d’action sans erreur et sans échec.

Le mérite appartient à celui qui toujours s’obstine dans son action, qui sait ce qu’est un grand enthousiasme et qui sait ce qu’est un grand dévouement, qui s’investit dans une grande cause, celui qui, dans le meilleur des cas, finira par connaître le triomphe d’une grande réalisation. Et qui, au pire, s’il échoue, au moins échouera en combattant avec grandeur, si bien que sa place ne sera jamais parmi ces âmes froides et cruelles qui ne connaissent ni victoire, ni défaite. ».

Theodore Roosevelt « Man in the arena » – Extrait d’un discours à la Sorbonne, le 23 avril 1910

Le mieux, c’est qu’on y prend goût, à descendre dans l’arène, même à y être secoué, du moment que c’est la tête haute, daring greatly.
Et maintenant ? Eh bien j’y retourne, dès que possible. Par exemple le 14 novembre 2019 à La Fabrique du Changement Lille, pour y faciliter un atelier ludique. Vous venez jouer ? ; )

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