Cet article est le premier d’une série consacrée au développement des pratiques de l’intelligence collective et du co-design dans les organisations. Des lieux ou équipes dédiés, des « clients » ou sponsors de ces méthodes, des praticiens internes ou externes, dans le privé ou dans le public : il s’agira d’aller à la rencontre de différents besoins, de différentes réponses faisant appel à ces pratiques.
Pour cette première rencontre, je me suis rendu à Boulogne Billancourt dans les tout nouveaux locaux de la Française des Jeux (investis depuis 3 mois) où j’ai rencontré Marion Van Bommel, responsable conduite du changement et innovation collaborative, qui m’y a fait visiter l’AZAP, qu’elle coordonne.
L’AZAP est un « lab’ d’innovation collaborative » dont le nom est l’acronyme de « accelerated zone for accelerated projects ». Cet espace de travail qui s’inscrit dans une vaste zone d’innovation comprenant également un espace dédié à l’open innovation et une zone dédiée à l’expérience client, est un « lieu pour dénouer les nœuds de l’entreprise et ainsi avancer plus vite » selon le DRH de la FDJ.
Pour dénouer les noeuds de l’entreprise, la FDJ a développé ce laboratoire collaboratif en 2013, sous l’impulsion de la Direction Générale. Pensé en « levier de facilitation », le dispositif comprend un espace physique, une méthodologie et une organisation dédiés pour « accélérer des sujets complexes et stratégiques de l’entreprise », « mais aussi donner envie aux collaborateurs et créer une dynamique pour mettre en place la vision stratégique ».
Dirigé par Marion, à mi-temps sur cette activité, accompagnée d’un directeur de projets, tous deux épaulés par un expert externe changeant toutes les 8 semaines et chargé d’analyser et qualifier les demandes, l’AZAP fait appel également appel à des facilitateurs externes concevant les démarches et animant les ateliers.
L’offre de services se décline en trois volets. Le coeur de l’activité (90% de l’activité) c’est le développement et l’animation de démarches collaboratives sur des sujets « complexes et stratégiques » de l’entreprise.
Le deuxième service permet à des managers de trouver des « partenaires de conversation », c’est à dire du temps avec les équipes de l’AZAP pour les aider à créer des temps forts avec leurs propres équipes, « pas de manière trop classique ». L’échange avec l’AZAP leur permet alors de clarifier leurs problématiques, d’obtenir l’aide de designers de sessions pour travailler différemment. Ce travail peut notamment les aider à distinguer ce qui relève du collaboratif et ce qui relève peut-être plus de l’organisation ou du management.
La troisième offre concerne la pratique du pitch. Cette pratique, de plus en plus répandue dans l’organisation, qui promeut les présentation orales courtes plutôt que des présentations Powerpoint sans fin, vient en complément d’un effort de formation : les collaborateurs se forment de plus en plus au pitch mais ont besoin de pratiquer. L’AZAP les y aide.
Mettre en place des ateliers collaboratif est donc le gros de l’activité du lieu. Pour ce faire, l’équipe reçoit les demandes émanant de collaborateurs de l’entreprise : ce sont eux qui la sollicitent. Dans la phase de cadrage, ces « clients » internes décrivent leur besoin, sont questionnés afin de déterminer si le besoin est suffisamment clair, pour démêler les enjeux (ceux annoncés et les « vrais » : dans le conseil on parle d’identifier « la mission cachée ») et définir si une démarche collaborative a bien du sens (si elle est envisageable ET apporte de la valeur). Il s’agit enfin de valider que la démarche s’inscrit bien dans la mise en en oeuvre du plan stratégique de l’entreprise. Le Comité de Pilotage de l’AZAP, réunissant un représentant du Comex, les « n-1 » de tous les directeur.trices et les responsables de l’AZAP, décide ensuite de prendre en charge ou non les demandes, selon la recommandation de l’équipe.
Au service de ces démarche, l’AZAP propose quelques centaines de mètres carrés d’espace dédiés et adaptés à la tenue d’ateliers : meubles modulables, grandes surfaces de tableaux, des gradins, tout le nécessaire pour des ateliers de travail collaboratifs, un coin cuisine, de la couleur, une touche ludique : il ne manque rien à l’AZAP qu’on s’y sente à l’aise, suffisamment déconnecté des espaces de travail classiques et pour que les facilitateurs puisse y travailler efficacement.
80% de ces ateliers se font avec des méthodes basées sur celles des « MG » (le couple Matt & Gail) Taylor, méthodes que l’on retrouve aussi sous l’appellation A.S.E. propre à Cap Gemini (rappelez-vous, le Lab Pole Emploi, déjà) : cette approche produit des ateliers séquencés, itératifs, des travaux parallélisés. Les méthodes voisinent aussi avec des approches de type Design Thinking mais aussi des approches expérimentées par les « session designers » du collectif Codesign-It opérant ici. Les 20% d’ateliers restants concernent du prototypage ou de la créativité pure.
C’est donc le pari de l’intelligence collective que fait la FDJ pour répondre à ses « problématiques complexes » et avec la volonté d’explorer de nouvelles façons de travailler. Car comme le souligne Marion van Bommel, ces démarches permettent de réaliser ce qui n’était pas possible, ou bien, comme je le traduirais : on a compris que ça n’a plus de sens de le faire comme « avant ».
L’intelligence collective c’est « les bons cerveaux, au bon moment, au bon endroit, sur le bon sujet, et ensemble, du coup, ça fait des étincelles » me dit Marion. Et de souligner qu’alors que « les possibilités de rencontre à l’intérieur d’une entreprise sont relativement faibles, finalement (…) créer ces moments de rencontres entre les bonnes personnes sur le bon sujet au bon moment, c’est ça l’intelligence collective. ». Elle ajoute que « ça crée de la robustesse, des solutions et des décisions » : cette notion de solutions robustes est importante ici et revient plusieurs fois dans nos échanges, Marion soulignant cette importance de trouver des solutions, pas juste des idées, à la différence d’un atelier de créativité.
Elaborer des solutions est donc un objectif essentiel, développer et apprendre de nouvelles façons de travailler en est un autre. Et c’est bien ce qu’on apprend à travailler ici : travailler autrement, ensemble, dans la diversité (des collègues nouveaux, des services qui ne travaillent peut-être pas ensemble habituellement). On y révèle aussi des potentiels, les intelligences différentes quand « par exemple un multipotentiel, qui va peut-être être vu comme instable dans son travail, probablement assez régulièrement en conflit, va peut-être être à fond dans ces pratiques. Ca révèle ça aussi. ».
L’expert qui officie seul, ou en petit comité, avec une pensée linéaire selon des schémas de pensée bien ancrés peut compter les jours. Car désormais, dans cette organisation la contagion du collaboratif est forte. Ce n’est pas un dogme, mais bien une contagion par l’expérience. Plusieurs signes le montrent, que je relève au cours de notre entretien. Quand je demande par exemple à Marion comment ses interlocuteurs sont amené à contacter l’AZAP : c’est le bouche à oreille et aujourd’hui, malgré les moyens considérables mis en oeuvre, l’AZAP ne peut plus répondre à toutes les demandes.
L’AZAP a répond à des problématiques ponctuelles et définies, dont le périmètre est clair, mais c’est aussi un moteur de la transformation qui a pour ambition de transformer en profondeur, petit à petit, les modes de fonctionnement, la façon d’aborder les sujets et de réduire le temps mis à effectivement traiter des problématiques complexes. Ce n’est pas un hasard si c’est la Direction de la Transformation, à laquelle appartient Marion, qui porte cette structure. Au vu des moyens alloués par la FDJ, il me reste une question importante : « est-ce que ça marche ? ». On peut la tourner autrement : « comment sait-on que ça marche ? ».
Je suis surpris en apprenant qu’il y a finalement peu d’indicateurs, et que ces indicateurs ne sont pas là pour mesurer le succès des opérations. Ils donnent une idée : nombre d’ateliers organisés (environ 100 par an, de 1/2 journée à 3 jours), en hausse chaque année, satisfaction des participants. Mais ils ne sanctionnent pas l’atteinte d’objectifs ni ne disent si « ça marche ». C’est d’autant plus étonnant que même si les grands mots de notre époque sont d’innover, penser hors de la boîte, prototyper, avoir le droit à l’erreur, je fais trop souvent ce constat que la plupart des entreprises refusent en réalité à tout prix toute forme d’incertitude. Elles sont ainsi souvent sujettes à cette forme de schizophrénie les conduisant à exiger des plans précis de déploiement pour des démarches nécessitant invention, expérimentation et tâtonnements : « Merci de préciser à quelle date et à quel coût la disruption sera prête à être lancée ». Cette dissonance qui est à mon sens l’un des enjeux de ces structures (labos ou programmes d’innovations) est peut-être le point où l’on peut sentir si c’est « pour de la vraie » comme diraient les enfants, ou si on est dans une démarche d’affichage. Et ici, je n’ai pas trouvé de bluff.
La FDJ ne mesure pas la réussite de l’AZAP avec une règle à calcul ou des tableaux de bord complexes. Il semble y avoir une confiance, vraisemblablement ancrée dans le fait que la démarche a été initiée au niveau du Comex, dont les membres ont mouillé la chemise lors des premiers ateliers, dont ils étaient les sponsors. Depuis, les managers et salariés comprennent en participant la puissance de ces démarches, dont le premier livrable est l’expérience qu’ils vivent. Le Copil et le Comex entendent, sentent, la contagion, constatent que depuis 5 ans beaucoup de managers n’abordent plus les choses de la même manière. Quelques projets marquant, accélérés par l’AZAP ont également contribué à consolider sa position.
Alors si Marion avait une baguette magique pour agir à sa guise pour l’AZAP et la FDJ, elle me répond que ce serait pour qu’il n’y ait plus besoin de l’AZAP car tout le monde fonctionnerait de manière collaborative !
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