Quels points communs y a-t-il entre les pratiques d’intelligence collective, la posture de facilitateur (dans ces mêmes pratiques), le fait de se jeter (volontairement) d’un avion en parfait état et l’hypnose ?
Un point commun à toutes ces pratiques est le lâcher prise. Un point commun à la majorité de ces pratiques (et cette fois nous laisserons le parachutisme de côté) est un rôle d’aidant.
Attendez ! Je vous vois tout prêts à me jeter des pierres parce que j’ai évoqué le lâcher prise. Le lâcher prise, comme la bienveillance, est une notion tellement invoquée à tout bout de champ qu’elle semble avoir perdu son sens et est souvent écartée d’un revers de la main à peine entendue. Qu’elle soit galvaudée n’en réduit pourtant à néant pas le sens, l’importance et l’impact. Il serait juste bon de se souvenir de ce qu’elle recouvre.
Il est assez aisé de constater le manque de lâcher prise, de voir ces personnes qui restent crispées, qui « ne lâchent pas », ont peur de perdre le contrôle, des managers par exemple. Il est moins facile de voir ou d’expérimenter cet abandon du contrôle, sans parler d’en développer la capacité.
C’est un sujet au cœur de mes évolutions les plus importantes depuis plusieurs années, en termes de développement personnel autant que dans ma vie professionnelle. Et c’est aussi un élément clé dont j’ai découvert la place clé dans plusieurs des pratiques qui m’occupent.
C’est en apprenant à me jeter par la porte d’un avion que j’ai (sans bien réaliser tout de suite cette partie de l’histoire) commencé à vraiment me travailler au corps (au sens propre) sur la question du lâcher prise. Je me suis ainsi confronté plusieurs dizaines de fois à cette nécessité imposée par la discipline. A mesure que je progressai dans mon apprentissage initial, j’ai commencé à prendre conscience de cette facette de l’expérience et ce qu’elle embarque nécessairement d’abandon, et d’avancées sur le plan de la confiance et de la légitimité.
Tout au long de mon parcours dans le cursus du DU Intelligence Collective, entre mars 2017 et 2018, le lâcher prise a aussi été un fil rouge : une nécessité parfois, une découverte, une révélation, un effet de bord. Il était là, à revenir si souvent. Si j’ai pu me lancer dans ce cursus c’est d’abord parce que j’avais su lâcher prise avant (sur mes certitudes et mes questionnements). La pédagogie expériencielle qui nous était proposée nous plongeait par ailleurs également nécessairement dans l’incertitude et la nécessaire adaptation.
Centrale, cette capacité l’est aussi dans la pratique de la facilitation, de l’accompagnement d’un collectif. Le facilitateur qui s’accroche à son programme, s’agrippe coûte que coûte à la production de « son » livrable, celui qu’il pense devoir à son client, ou qui se fait balayer par un groupe qu’il ne sait plus accompagner, n’est pas au rendez-vous.
Il lui est absolument essentiel de savoir lâcher prise : sur ses certitudes, ses attentes trop cadrées, ce qui va se passer. Il lui faut fixer l’horizon, inviter à s’y diriger, mais cet horizon n’est pas une destination certaine. C’est une intention et des objectifs. Si c’est possible, on aidera ce groupe à y arriver. Peut-être que ce ne sera pas possible. L’histoire doit être par le collectif.
Otto Scharmer nous le dit, « lâcher prise et laisser venir » : lâcher prise permet de créer un espace pour l’émergence de nouvelles idées.
Le lâcher prise est également nécessaire aux participants, pour des raisons assez proches. Ceux qui entrent en intelligence collective en s’accrochant à leur point de vue définitif, à un rôle, un ego ou une peur ne servent pas le collectif.
Et l’hypnose dans tout ça ?
Début 2018 j’ai commencé à m’intéresser à l’hypnose et à être fasciné par ce que ces pratiques racontent en creux des fonctionnements de notre cerveau. Tant par la démarche proche du hacking qui sous-tend certaines méthodes (je pense notamment aux interruptions de pattern, pour ceux qui à ça parle) que par le rôle fascinant de notre inconscient, personnage central de l’hypnose. C’est aussi afin de me bousculer un peu et me pousser encore un peu plus à pratiquer ce lâcher prise que j’ai décidé de me lancer dans une expérience pas tout à fait commune en allant apprendre à hypnotiser des inconnus dans la rue.
Si cette pratique m’a bien sorti de ma zone de confort et a bien nécessité une bonne dose de lâcher prise comme je m’y attendais, j’ai découvert une partie que je n’avais pas imaginée. J’ai en effet passé les deux jours de ce stage à découvrir un nombre incroyable de similitudes entre mon métier de facilitateur et cette nouvelle pratique. Car l’hypnotiseur est un facilitateur.
Lorsque la posture de l’hypnotiseur de rue nous a été décrite, j’ai découvert avec amusement que tout ce qui était dit s’appliquait parfaitement au facilitateur : créer un cadre de confiance et de sécurité, avoir une posture bienveillante, établir une connexion « de coeur à coeur », guider la personne, co-construire l’expérience… Le rôle de l’hypnotiseur, comme celui du facilitateur, repose sur la création et le maintien d’un lien de confiance tout au long du travail. Enfin, l’importance de l’écoute et du questionnement, et finalement ce rôle d’accompagnateur qu’a l’hypnotiseur (certains parlent de l’hypnose comme d’une auto-hypnose guidée !) terminent cette longue liste de similitudes.
Et le collectif ? Il est généralement plus réduit, mais il est là. Le jeu se joue au moins à trois : l’hypnotiseur / facilitateur, le volontaire hypnotisé, et son inconscient. Le but du jeu est de faire jouer le volontaire avec son inconscient (à moins que ce ne soit l’inverse).
Et l’expérience est bien conforme. Pour que ça marche il faut que nos volontaires acceptent de jouer le jeu (et lâchent prise eux aussi !), qu’ils fasse confiance. Il faut les questionner (et donc savoir poser des questions efficaces), les écouter, savoir composer, raconter une histoire pour les mener étape après étape dans une expérience dont on leur propose les étapes (aimerais-tu expérimenter une amnésie de ton prénom ?).
A la fin, en intelligence collective comme en hypnose de rue, il y a aussi ce plaisir semblable : cette connivence entre eux et nous. On a permis à ces personnes d’expérimenter quelque chose de sympa, voire fort, souvent inédit pour elles. Le facilitateur permet aux individus du groupe de se connecter, d’entrer en relation avec une intensité souvent plus grande que dans leurs relations habituelles. Il peut aussi y avoir dans l’hypnose cette relation d’humain à humain particulière et le regard amusé, parfois émerveillé de celui ou celle à qui on a permis de vivre un drôle de truc.
Dans ces deux rôles on peut parfois entendre, ou lire dans un regard : « merci de m’avoir fait vivre ça ».
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