Inclusions

Quelque part au milieu d’une période de confinement quasi planétaire, alors que mon espace de vie s’est resserré, que mes interactions ont été réduites au strict minimum et au moins totalement transformées, plusieurs thèmes récurrents ont émergé de mes observations ou questionnements.

Limites, membranes, liens et proximités

Tournant dans mon territoire, affrontant le moins possible un monde extérieur qui a désormais une dimension hostile, je m’attache aux limites. Les limites de ma propriété, d’abord contraintes imposées à ma liberté, sont devenue le périmètre d’un cadre de sécurité. Jour après jour, ce qui est dedans est rassurant, ce qui est dehors est dangereux, comme une humanité qui fait marche arrière.

Ces quelques semaines me fascinent pour ce qu’elles ont de si contradictoire : plus nous nous éloignons plus nous nous rapprochons.
L’arrêt brutal des contacts directs, à proximité physique, avec des êtres humains n’appartenant pas à la cellule familiale m’a conduit à explorer des alternatives offertes par la technologie. 

Coupé du monde j’ai eu, comme beaucoup, un besoin d’autant plus grand d’avoir des contacts. Un besoin de contacter ceux des amis moins proches dont je voulais vérifier la bonne santé. Un besoin de rester en contact avec mes réseaux, des partenaires, consœurs et confrères, praticiennes et praticiens des approches dynamiques notamment. J’ai aussi participé à de nombreux ateliers, meetups et formations, comme je le racontais dans un billet précédent.

J’ai l’impression d’enfoncer une porte ouverte mais… le numérique nous permet de maintenir les liens qui existaient. Ce qui était peut-être moins évident peut-être moins c’est qu’il permet d’en renforcer des moins visibles, plus ténus, d’en créer de nouveaux et de créer une proximité dans la distance. Les outils numériques permettent notamment de lever des freins, de rendre les choses plus fluides : par exemple, je peux prendre un café avec toi sans avoir me déplacer, les possibilités de faire coïncider nos agendas sont alors bien plus nombreuses.

Lier sans enfermer

Nos réseaux, nos relations, ce sont des liens, faits d’interactions (rencontres, messages, collaborations, etc.) et aussi de pensées réciproques. Plusieurs lectures récentes sont venues renforcer mon attention à tout ce qui, dans mes semaines de confinement avait trait à la création ou l’entretien de ces liens. Je citerai notamment L’Élément Humain, de Will Schutz et un billet de Kelvy Bird sur les « containers » (« containers », contenants, que je rapproche d’un terme que nous utilisons dans l’accompagnement des collectifs : la membrane).

Will Schutz décrit trois besoins interpersonnels essentiels, dont le premier est l’inclusion, qui désigne le désir de recevoir de l’attention, d’interagir, d’appartenir, d’être unique. Nous avons besoin d’appartenir, à des réseaux, des groupes. Ces interactions qui créent les liens, quand elles sont répétées les renforcent, comme le chemin se crée à force d’être arpenté. Ces liens créent les réseaux.

J’évoquais la notion de limite en introduction : ces réseaux n’en ont pas. Ils sont interconnectés. Chaque personne est à l’intersection de plusieurs réseaux et peut même distinguer dans l’ensemble de ces contacts des sous-ensemble, sous-réseaux. Nos réseaux sont pour partie informels : c’est la somme des liens qui m’attachent à une somme d’individus qui en fait mon réseau, ma constellation.

Il existe des collectifs un peu plus formels, groupes d’amis, de collègues, partenaires. Faire groupe, c’est se rassembler avec une volonté commune et créer un espace dans lequel nous nous accueillons les uns et les autres : la membrane que j’évoquais plus haut. Ce qui nous rassemble sans nous enfermer, ce qui nous inclut, qui crée un espace de confiance et de sécurité et qui peut aussi être déchirée si on n’en prend pas soin. On retrouve la notion de « container », dont Kelvy Bird nous dit :

« It is simply this: How we hold each other in our hearts, that is the container, that is what we can offer to each other, across any boundary. »

Il y dans la description de Kelvy Bird ce petit truc en plus : l’intention, l’attention. C’est ce que je retrouve, partagé par mes camarades de conversations : ce besoin de nous relier, de nous accueillir, nous faire une place.

Dans nos relations, à deux ou en groupes, il y a une dimension complémentaire : la proximité et l’intimité. La proximité se mesure autant dans l’espace que dans la nature de la relation. A ce stade, le numérique n’y change pas grand chose.
Dans l’espace physique cependant, « la plus ou moins grande proximité physique est un élément caractéristique de la communication entre individus« . Edward Hall a développé un concept relatit à la proximité : la proxémie.

« La proxémie est l’analyse de la distance physique entre des acteurs et de la façon d’occuper l’espace en présence de l’autre : distance matérielle lors des échanges, interdiction ou non du toucher, importance sociale des contacts fréquents, etc. »

« Distance et proximité, Esquisse d’une problématique pour les organisations »
Pierre-Yves Gomez, Anne Rousseau et Isabelle Vandangeon Derumez

Nous avons des espaces différents pour accueillir différentes natures de relations. En nous permettant de maintenir et de créer des liens, de nous rapprocher là où nous nous sommes contraints de nous distancier physiquement, le numérique vient chatouiller un peu cette notion de proxémie. Les distances publiques, sociales, personnelles et intimes ne sont plus marquées par une distance physique. Ce sont les paroles, les postures, parfois même ce que l’on montre de nos intérieurs qui contribuent à composer différemment avec ces différentes sphères.

Ce numérique (au singulier, comme un objet ou une entité) nous permet de revisiter, de sentir différemment l’existence et la force des membranes de nos groupes et réseaux et l’importance vitale de nos liens et de l’inclusion. Il nous permet (et parfois nous oblige) à nous approprier de nouvelles modalités d’interactions et formes de proximités.

On aura au moins gagné ça, dans tout ça : se rappeler certaines de ces choses qui nous font humains.

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